Ramadan, 8

Les jours passent à la vitesse de la lumière, si remplis que j’ai la sensation de courir derrière les heures.

Il est plus rapide de sortir des rails que de battre des cils. Se laisser distraire par la rengaine de la sorcière, avec sa gueule de carême et sa voix de vieille chèvre, sa mélancolie gluante et sa langueur, le dolorisme calviniste des familles, la mortification et la flagellation systématiques, souffrons pour mériter, ben tiens, et puis encore soyons grave et sérieuse, soyons diaphane, tiens, soyons héroïque, la tendance romantique au martyre, à la perfection, à la sainteté, la jouissance de la Vestale, le tragique de Lucrèce… oh la la, quelle ringarde celle-là. Rien de nouveau sous le soleil ces derniers siècles… C’est juste moi où cette névrose est ancrée dans la mémoire collective, elle nous colle à la peau ? Il va pourtant falloir finir par sortir de tout ça… Il va falloir finir par arrêter d’essayer, et commencer à accepter de laisser venir, de laisser être et advenir. Oui, bien sûr, c’est compliqué, elle respire encore, cette petite fille qui restait des heures devant Le Prince d’Egypte de Dreamworks, parce que Moïse ressemblait à son papa ; c’est encore bien là tout ça, c’est resté, la souffrance patiente et endurante du peuple esclave et la voix du buisson ardent qui effraie et rassure à la fois ; le Dieu papa, l’obéissance de l’enfant sage et aveuglément confiante parce qu’elle n’a pas d’alternative. Ma petite fille. Un jour, pourtant, il faut apprendre à tuer les pères, c’est ce que l’on dit… On oublie de dire, c’est vrai, que certains sont plus difficiles à tuer que d’autres ; que les pères d’adoption, d’élection, sont bien plus difficiles à laisser derrière soi. On ne parle pas assez du sentiment de trahison, de la peur d’abandon. Mais un jour, on devrait arriver à dire simplement, merci.

Merci de m’avoir appris à marcher, de m’avoir regardée grandir avec un amour inconditionnel et sécurisant ; merci de m’avoir donné tout ce que tu m’as donné, tout ces trésors. Aujourd’hui je dois prendre mon envol et te quitter, pour, de la petite fille, devenir femme ; pour, du petit satellite, devenir planète ; je t’aimerai toujours, mais je ne peux plus t’appartenir, car je ne suis pas toi, je dois trouver ma voie, elle n’est pas la tienne, pas seulement, je veux l’enrichir, je veux l’ouvrir, la métisser, l’élargir ; et j’ai une peur bleue, j’ai peur de ce qu’il y aura si je pars, si je te fais défaut, si ta maison n’est plus la mienne, pourrai-je seulement exister, pourrai-je retrouver un ancrage aussi puissant, aussi sécurisant, serai-je seulement légitime à être, et me pardonneras-tu, et m’aimeras-tu et m’estimeras-tu encore, me reconnaîtras-tu encore comme ta famille quand je m’élèverai contre tes croyances pour les contester, pour les repenser, ou serai-je orpheline, serai-je seule dans un monde sans guide, dans un désert loin des pistes ?

Ils sont nombreux, nos pères, ils sont innombrables peut-être. Et la peur de la porte à tout jamais fermée, de la déception, du reniement est vertigineuse, écrasante. Il faut pourtant bien commencer à marcher seule un jour. Alors, la lueur éternelle et indéfectible de la lune, an-nûr, celle qui guide, la nuit, les pistes des caravanes…

Le Seigneur est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ?

J’ai demandé une chose au Seigneur,
la seule que je cherche :
habiter la maison du Seigneur
tous les jours de ma vie,
pour admirer le Seigneur dans sa beauté
et m’attacher à son temple.
(Psaume)

Le mois de mai est là, je vais recommencer à avoir des rêves agités. 26 ans, ce n’est pas n’importe quoi. On entre dans un nouveau cycle, on laisse quelque chose derrière soi. On entame le second quart de siècle de sa vie. Il est grand temps de hisser la grand-voile et surtout, de larguer les vieilles amarres tenaces qui vous vrillent les chevilles au fond du port…

Ce qui est amusant et infiniment réconfortant, mon Dieu, c’est que même quand on en a marre de Toi et qu’on ne croit plus très fort en Toi, Tu ne cesses pas, pas un seul instant, de croire en nous. Je ne le dirai jamais assez ; quelle belle patience Tu as avec moi.

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