Ramadan, 4

Mon Dieu, c’est bien difficile.

C’est difficile de trouver de petites oasis de solitude et de silence pour se recueillir, se retrouver, dans ce quotidien.

Bien difficile de se centrer et s’apaiser dans la prière, quand le moindre moment de solitude doit être calculé, organisé à l’avance, et ne dure que le temps d’une respiration.

Bien difficile de s’attarder sur sa respiration en conscience quand il est presque impossible de s’asseoir deux minutes sans être sollicitée.

On dit que chaque acte peut être une prière, du moins un acte de foi. C’est certes vrai. Mais comment, si son espace vital n’est plus qu’un souvenir depuis des mois ? Il faut un équilibre. Je ne peux pas le trouver.

Soraya m’a dit un jour que les convertis étaient les pires des croyants. Parce qu’ils cherchent l’absolu dans leur religion d’élection, un absolu qu’elle ne peut, par essence, pas offrir. Et quand ils ne le trouvent pas, ils implosent. Ou deviennent radicaux. Plus royalistes que le roi. Effrayants. Pour incarner leur absolu, à tout prix. Elle a sans doute raison. Étrangement, je me suis toujours sentie mal à l’aise avec les convertis. Je ne les aime pas. Ils me font peur. Je me dis que quelque chose cloche chez eux. Que font-ils là ?

Et moi, que fais-je là ? Moi, j’y suis, et je n’y suis pas. J’aspire à appartenir sur un temps, je me défie de toute identification sur le second. Je suis intransigeante sur la présence et la conscience dans la prière et les rites, mais je honnis toute forme d’injonction. Je recherche à toutes forces un cocon pour me sécuriser, m’apaiser, des bras amoureux, une religion, mais sitôt que je le trouve je me débats comme un diable. Rien ne peut me contenir. Et toujours je me retrouve à cette même place, en bordure, en marge, au carrefour, à la croisée des chemins et des mondes. Me débattant avec mon judaïsme, me réfugiant dans les églises pour leur familiarité, fuyant les mosquées pour mon tapis de prière, dans mon jardin aux herbes hautes. Toujours dans une solitude assourdissante. À la fois ici et ailleurs ; naviguant entre présent et passé ; à la fois d’orient et d’occident, étrangère partout. Rebelle et indépendante mais avec une tendance systématique à la soumission et l’abnégation, hypnotisée par mon propre vertige, fascinée par ma possible disparition. Et gémeaux, bien sûr. Un jour aimant les hommes, leur préférant les femmes le lendemain. Même quand je fais des bébés, je ne peux pas en faire qu’un seul…

26 ans le mois prochain. Je me vois vieillir sans devenir sage, sans parvenir à trouver l’apaisement, la tranquillité. J’aspire de toutes mes forces à vivre mais je flirte toujours avec le fantasme du naufrage. Je ne tiens pas en place. Mon Dieu, je ne tiens vraiment pas en place. Je suis fatiguée.

Il y a trop de bruit, mon Dieu. Trop de bruit le jour, trop de bruit la nuit, et trop de mots dans ma tête. Je n’arrive pas à trouver le silence.

Le chemin vers Toi, le chemin vers moi, est encore immense. C’est une véritable jungle. Et parfois un désert, loin des pistes.

Je fais de mon mieux, mon Dieu, mais sans Toi je pars en vrille à chaque instant. Ne me laisse pas trop longtemps sans Ton secours.

آمين

Réflexions en vrac à quelques jours de Ramadan, إِنْ شَاءَ ٱللَّٰهُ

C’est dans le recueillement en soi-même que l’on se trouve au plus proche de Toi. Parfois il ne s’agit que du bon sens le plus élémentaire ; mais notre ego prend tellement de place et fait un tel raffut qu’on ne s’entend plus, on ne T’entend plus.

Une vérité n’a pas à être absolue ou relative, elle peut être les deux à la fois. Que Tu es, et que j’ai Ta confiance et Ton amour incompressibles, est une vérité absolue pour moi. Mais elle est aussi relative en cela que pour mon prochain, elle ne fait pas sens. Et sa vérité est tout aussi absolue pour lui / pour elle.

Tu réponds si vite à l’appel. N’est-ce pas une preuve de Ton amour et Ta confiance indéfectibles ? « Celui qui s’approche de Moi d’un empan, Je M’approcherai de lui d’une coudée. S’il s’approche de Moi en marchant, Je M’approcherai de lui en courant. » (hâdith)

Le Paradis, c’est l’harmonie avec Toi. Ici et maintenant. C’est l’alignement, l’osmose de Toi et soi. Parfois dans la prière, parfois dans les actes ; il se gagne en cela qu’il exige un certain travail, une discipline. Mais elle peut être bien douce. Tout ce qui vient de Toi est doux ; seulement, la vie est parfois rude. L’ensemble du vivant est soumis à la souffrance. C’est la férocité de la vie. Mais quel ennui que la facile indolence des anges !

L’enfer, c’est errer loin de Ta face. C’est le désert brûlant où l’on se perd, assoiffé, sans guide, sans signe. C’est la mort sans secours ; puisque Tu es l’eau qui fait la vie.

Le pardon (je n’aime pas ce mot ! Hérité tout droit de la vieille culpabilisation judéo-chrétienne) n’attend pas un quelconque Jugement de la fin des temps ; face à Toi, le cœur ouvert, il descend comme un rayon de soleil sur le jardin.

Œuvrer pour la vie future, sous-entendue post mortem, quel sens cela a-t-il ? La vie ne suffit-elle donc pas à nous mettre à genoux de gratitude, sans se mettre en oeuvre de calculer pour l’après ? Qui sommes nous donc, des écoliers sages espérant obtenir des bons points pour avoir les faveurs du maître ? Mais pour qui Te prend-on ? Et où avons-nous oublié notre dignité ? Rabi’a disait : « Ô mon Dieu, si je T’adore par crainte de Ton enfer, brûle-moi dans ses flammes, et si je T’adore par désir du paradis, interdis-moi d’y entrer. Mais si je T’adore pour l’amour de Toi seul, alors ne me prive pas de contempler Ton éternelle beauté ! » Là. Un peu de consistance dans la foi, que diable ! Aimerait-on par calcul, par intérêt ? J’ai une telle confiance en Toi que je m’abandonne entièrement, et, tant pis si des dents grincent, ce qui adviendra de moi après ma mort m’importe peu. Tu sais mieux. Cela me suffit.

Il n’y a pas de place dans l’amour pour la peur. L’un s’arrête là où l’autre commence. Le respect n’exige en rien la peur. La confiance n’est pas hubris, ni défaut d’humilité…elle n’est que le signe d’un amour heureux.

Peut-être certains sages ont atteint un tel degré d’intimité avec Toi que leur vie entière est illuminée, transfigurée par Ta présence ; c’est Al-Hallaj qui arpente les rues de Bagdad en proclamant : « je suis Dieu ! » Tant abîmé dans Ta contemplation qu’il s’est mû tout entier en temple. Pour le commun des mortels comme moi toutefois, une pratique, des rappels, des rituels sont nécessaires pour nous remettre en phase. D’où la religion. (J’ai arrêté d’espérer y trouver des réponses d’ordre métaphysique ; les réponses des hommes ne parleront jamais que des hommes !)

Tu as beaucoup d’humour…

Vendredi 17 avril

M’est apparu aujourd’hui que sur le chemin qui mène à Toi, il ne suffit pas de Te choisir un jour, que ce soit lors d’une conversion, d’un baptême, d’une cérémonie quelconque… ça, à la limite, c’est juste mettre ses bottes de randonneur avant d’entamer le chemin. C’est chaque jour qu’il faut Te choisir. C’est une décision renouvelée au quotidien, presque même, à chaque instant. Quand plus rien d’extérieur ne nous enferme à l’intérieur, parents, mari, communauté ; qui nous empêcherait de sortir de la grande Masjid ? Il ne reste plus que soi face à Toi. Rester, ou partir battre la campagne. Aucun choix n’est meilleur que l’autre, en terme de moralité ; il n’y a ni bien faire, ni mal faire. Et pas de prêtre pour trancher pour nous ; ne reste que soi, face à Toi. Alors, prendre le temps du silence, se mettre à l’écoute, se rendre disponible à Ta parole, à ce que Tu veux pour nous. Pour que chaque jour soit l’occasion d’un choix renouvelé. C’est peut-être pour ça que l’on répète la profession de foi à chaque prière ; pour, cinq fois par jour, Te choisir, encore, et encore… on sait à quel point l’homme est oublieux et volatile ! Du moins, Toi, Tu le sais. Nous, on l’oublie aussi vite que le reste…

جمعة مباركة / bon vendredi

Premier jour

Regarde ce visage et cette allure, vois cette stature, cette joue, ces mains, ces pieds,
Contemple ce teint, cette démarche, cette beauté pareille à la lune éclatante, revêtue d’une tunique
Parlerai-je du cyprès, de la verdure, de la tulipe et du jasmin ?
Parlerai-je de la chandelle ou du chandelier, de la danse, de la rose, de la brise du printemps ?
O amour pareil du temple du feu ! Toi qui as revêtu une forme et un corps,
Toi qui as pillé la caravane du cœur, donne-nous un instant de paix.
C’est dans le feu et la brûlure que s’écoule pour moi la nuit jusqu’à l’aube.
O gloire et fortune pour moi ! à cause du visage du soleil lumineux,
Je tourne autour de son visage pareil à la lune brillante, je salue sans paroles.
Je frappe le sol de mon front, avant qu’il dise: « salut ».
Tu es la roseraie et le jardin du monde, tu es soleil et la lumière du monde.
Toi à qui vont la douleur et la brûlure du monde, comment peux-tu te montrer aussi indifférent ?
Je viens te donner ma vie en gage. Tu dis: « Ne prends pas cette peine, va-t’en ».
Je t’obéis et je m’écarte. Tu dis:  « Approche-toi, imbécile. »
Son image accompagne les amoureux enflammés.
Que pas un seul instant ton visage ne soit absent de nos yeux.
O cœur, où est ta stabilité ? Que sont devenus tes désirs et tes efforts ?
Qui t’empêche, soir et matin, de dormir ?
Le cœur m’a répondu: « La beauté de son visage, le narcisse de ses yeux enchanteurs,
La jacinthe de ses sourcils, ses lèvres de cornaline, riches en douces paroles ».
O passion ! Tu as pour chacun bien des noms et des surnoms.
Hier soir, moi je t’ai donné un autre: « Souffrance sans remède ».
O toi splendeur de ma vie ! A cause de toi , je tourne comme une roue
Envoie-moi, ô ma vie ! du blé, afin que mon moulin ne tourne pas en vain.
Je ne respire plus, je dis seulement ce vers :
 « Mon cœur a fondu de désir. Viens à notre secours, Seigneur ! »

Rûmî, Odes mystiques

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