Shawwal, 13

« A vingt ans, Isabelle change de corps, de langue, de religion, de terre. Elle n’est ni dans le reniement ni dans la culpabilité. C’est un exil heureux, malgré le dénuement et les agressions de la colonie, loin de ce qui ne fut pas sa terre natale, ni sa maison, ni son terroir, ni sa langue. Quelle a été sa
langue maternelle ? Sa mère parle le russe, le français, son tuteur aussi ; le français est la langue de culture, c’est la langue de la Suisse romande, Isabelle Eberhardt la privilégie pour en faire sa langue d’écriture.

Aurait-elle écrit dans la maison maternelle ? Il lui faut vagabonder, libre et seule. Voir, savoir, retenir, entendre et écrire, travailler non à sa propre mémoire ni à restituer la mémoire familiale, plutôt à rendre hommage à la mémoire d’un peuple, d’un paysage, d’une âme, « l’âme musulmane » qui l’a adoptée comme une fille, un fils, qu’elle a adoptée comme tout à fait sienne. Si Mahmoud, elle est musulmane, elle parle et lit l’arabe, elle s’habille en arabe ; Isabelle, elle épouse un Arabe et elle n’écrit que des Arabes et de la terre musulmane du Maghreb, d’Est en Ouest et du Nord au Sud. Elle écrit dans la langue qu’elle maîtrise le mieux, le français. Avec l’ardeur et la curiosité d’une nouvelle-née, la candeur aussi, elle marche infatigable, partout où jamais une femme européenne n’aurait eu l’idée d’aller. Mais pour écrire autant qu’elle le voudrait, il lui faudrait une maison, une chambre. Or, dès qu’elle fait halte dans une chambre, l’exaltation nécessaire, l’inspiration lui manquent. Elle a besoin de s’arrêter, elle n’a pas assez d’années d’expérience cavalière pour écrire au galop. (…) »

article de Leïla Sebbar.

Musique : Tinariwen

Un avis sur « Shawwal, 13 »

  1. Vraiment très jolie 🙂 j’ai cru un moment que tu parlais de toi avant d’arriver en bas et de voir l’auteur du texte 🙂 j’aime beaucoup ce genre de texte autobiographique plein de poésie

    Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer