Tiède petit matin de chaleur et de peurs ancestrales
Je tremble maintenant du commun tremblement que notre sang docile chante dans le madrépore.
Et ces têtards en moi éclos de mon ascendance prodigieuse !
Ceux qui n’ont inventé ni la poudre ni la boussole
ceux qui n’ont jamais su dompter la vapeur ni l’électricité
ceux qui n’ont exploré ni les mers ni le ciel
mais ils savent en ses moindres recoins le pays de souffrance
ceux qui n’ont connu de voyages que de déracinements
ceux qui se sont assouplis aux agenouillements
ceux qu’on domestiqua et christianisa
ceux qu’on inocula d’abâtardissement
tam-tams de mains vides
tam-tams inanes de plaies sonores
tam-tams burlesques de trahison tabide
Tiède petit matin de chaleurs et de peurs ancestrales
par-dessus bord mes richesses pérégrines
par-dessus bord mes faussetés authentiques
Mais quel étrange orgueil tout soudain m’illumine ?
vienne le colibri
vienne l’épervier
vienne le bris de l’horizon
vienne le cynocéphale
vienne le lotus porteur du monde
vienne de dauphins une insurrection perlière
brisant la coquille de la mer
vienne un plongeon d’îles
vienne la disparition des jours de chair
morte dans la chaux vive des rapaces
viennent les ovaires de l’eau où le futur agite ses petites têtes
viennent les loups qui pâturent dans les orifices sauvages du corps à l’heure où à l’auberge écliptique se rencontrent ma lune et ton soleil
il y a sous la réserve de ma luette une bauge de sangliers
il y a tes yeux qui sont sous la pierre grise du jour un conglomérat frémissant de coccinelles
il y a dans le regard du désordre cette hirondelle de menthe et de genêt qui fond pour toujours renaître dans le raz-de-marée de ta lumière
Calme et berce ô ma parole l’enfant qui ne sait pas que la carte du printemps est toujours à refaire (…)
Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal
Magnifique passage d’un auteur que j’aime énormément merci 🙏
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